Pendant que les projecteurs médiatiques se fixent sur les tensions pétrolières, sur la guerre des semi-conducteurs et sur les terres rares, un autre enjeu se joue dans les coulisses de la mondialisation : la conquête des océans. Plus précisément, celle des ressources halieutiques.
L’Afrique, dotée de côtes parmi les plus riches de la planète, et la région Asie-Pacifique (APAC), avec son appétit insatiable pour les protéines marines et ses marchés gigantesques, sont en train de bâtir une alliance économique aux implications profondes.
Il ne s’agit plus seulement de poissons ou de crevettes. Il s’agit de souveraineté économique, de sécurité alimentaire, et d’influence géopolitique. Comme le pétrole au XXᵉ siècle, la pêche est en train de devenir un levier de puissance et un terrain d’affrontement.
Historiquement, les ressources africaines ont souvent été exploitées au profit d’intérêts extérieurs. Du commerce triangulaire aux concessions minières coloniales, l’histoire économique du continent porte la marque de dépendances imposées. La mer pourrait, cette fois-ci, offrir une revanche.
Avec la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et la montée en puissance d’outils financiers régionaux comme le PAPSS, l’Afrique dispose enfin de leviers pour valoriser elle-même ses ressources halieutiques. Si la pêche artisanale reste le cœur battant de milliers de villages côtiers, la structuration d’un marché de compensation halieutique ouvre la voie à une industrie organisée, capable de peser face aux mastodontes européens ou asiatiques.
La rhétorique officielle est séduisante :
Mais comme souvent, les promesses dissimulent des fissures.
Selon la FAO, 35 % des stocks halieutiques mondiaux sont déjà surexploités. Sur certaines côtes ouest-africaines, les captures ont chuté de moitié en vingt ans. Sans régulation stricte, l’Afrique risque de transformer son « or bleu » en mirage.
Là où les ressources abondent et la gouvernance vacille, les mafias prospèrent. Déjà, des flottes étrangères opèrent illégalement dans les eaux africaines, souvent protégées par la corruption locale. Demain, un marché mal encadré pourrait devenir le nouveau « diamant du large », où s’entrecroisent blanchiment, surpêche et exploitation humaine.
Encourager les règlements en monnaies locales est une avancée. Mais que se passera-t-il si les banques centrales, fragiles et sous-capitalisées, n’arrivent pas à absorber ces flux ? L’histoire des dettes souveraines africaines rappelle combien l’instabilité financière peut rapidement saper les meilleures ambitions.
La carte des ports africains dessine déjà une géopolitique des océans :
La Chine investit massivement via ses Nouvelles Routes de la soie maritimes, l’Europe tente de se réinventer avec son « Green Deal » logistique, et les États-Unis observent avec nervosité ce basculement où leur influence recule.
RégionPays moteurs Atouts clés:
1- Afrique de l’Ouest Nigéria, Sénégal, Côte d’Ivoire Ports dynamiques, hub vers Atlantique.
2- Afrique Centrale Cameroun, Congo, Angola Biodiversité, partenariats APAC .
3- Afrique de l’Est Kenya, Tanzanie, Mozambique Accès océan Indien, proximité APAC.
4- Afrique Australe Afrique du Sud, Namibie Ports modernes, exportations mondiales.
5- Corne de l’Afrique Djibouti, Somalie Contrôle des routes maritimes mondiales.
L’Afrique devient leader de l’économie bleue, créant des millions d’emplois, garantissant la sécurité alimentaire et s’imposant comme un partenaire incontournable pour l’APAC et l’Europe.
Les océans sont surexploités, les ressources s’effondrent, les communautés artisanales sont sacrifiées et les flux financiers alimentent des réseaux opaques. Le continent passe d’une dépendance occidentale à une dépendance asiatique sans jamais construire sa souveraineté.
La mer est devenue le miroir du destin africain. Elle peut refléter la réussite d’une souveraineté retrouvée ou les échecs répétés d’une exploitation prédatrice.
L’Afrique et l’APAC ont entre leurs mains une chance historique : bâtir un partenariat équitable, durable et transparent. Mais l’histoire, celle du pétrole ou des diamants, rappelle combien les richesses mal encadrées peuvent devenir des malédictions.
Dans trente ans, les générations futures jugeront : l’Afrique aura-t-elle su transformer ses mers en trésor collectif… ou les aura-t-elle laissées sombrer dans les abysses d’une mondialisation sans règles ?